Fragilisé par les interruptions de chantiers durant le pic de la pandémie de Covid-19, le secteur de la construction, comme de nombreuses autres industries, doit désormais faire face à une pénurie de matériaux. Provoquée, dans un contexte de crise géopolitique internationale, par une forte demande, l’inflation sur les énergies et des difficultés d’approvisionnement, elle force les entreprises du bâtiment à retarder, voire reporter de nombreux projets. Mais comment cette pénurie de matériaux dans le BTP s’est-elle installée dans la durée et quelles sont les perspectives pour l’avenir ? Éléments de réponse.
Plusieurs facteurs sont à l’origine, depuis 2020, de la pénurie de matériaux dans le BTP. Le premier d’entre eux est bien sûr la pandémie de Covid-19, qui a fragilisé le secteur de deux manières différentes.
La crise sanitaire a tout d’abord provoqué des arrêts de chantiers durant les périodes de confinement. La reprise économique qui a suivi a quant à elle généré, en un laps de temps très court, une forte demande en matériaux de construction, que le secteur a été dans l’incapacité de satisfaire. Ainsi, dès juin 2020, à la suite des premiers confinements en France, des problèmes d’approvisionnements furent signalés par des entreprises.
Le bois a, de plus, été confronté durant les confinements à un fort engouement de la part des particuliers, qui se sont davantage mis au bricolage ou à la décoration d’intérieur (achat de meubles, etc.). Il s’agit également du matériau de prédilection de 80 % des maisons individuelles aux États-Unis, dont les commandes ont explosé durant la pandémie. Les importations canadiennes ayant été bloquées sous la présidence de Trump, l’Europe a dû prendre le relais. Deux phénomènes qui ont augmenté les tensions sur les approvisionnements, sur notre continent.
La reprise d’activité dans tous les secteurs a également provoqué, en 2021, une augmentation des coûts de l’énergie. Le prix de l’électricité a notamment été multiplié par 10 entre le printemps 2020 et la fin de l’année suivante. Or, certains matériaux sont fabriqués grâce à des procédés très énergivores. Par conséquent, des matières comme l’acier, le béton et les demi-produits en aluminium – les produits intermédiaires entre matière première et objet fini – ont subi de fortes augmentations, allant jusqu’à 80 %.
Alors que les conséquences de la pandémie se faisaient encore sentir sur le BTP, la guerre en Ukraine, en cours depuis fin février 2022, a aussi amplifié la crise. La Russie et l’Ukraine sont par exemple les premiers pays fournisseurs d’acier de l’Union Européenne, hors UE. Ainsi, la diminution des importations pourrait encore faire flamber les prix et, en cas d’arrêt total de la production, conduire à une pénurie. D’autres matériaux comme les plastiques (PVC, PET…), déjà fortement impactés par la pénurie et la hausse des prix post-Covid, sont concernés.
Également impacté par la crise, le Conseil National de l’Ordre des Architectes a fait réaliser par le CREDOC, le Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de vie, une note de conjoncture en avril 2022. La CAPEB a, de plus, réalisé en juillet 2021 une enquête auprès de 1700 entreprises artisanales du bâtiment. Il ressort de ces analyses plusieurs conclusions.
En mars 2022, 31 % des entreprises de plus de 10 salariés interrogées par le CREDOC déclarent être touchées par l’indisponibilité des matériaux. En particulier celles qui n’ont pas ou peu constitué de stocks. Les professionnels témoignent de difficultés à respecter les plannings, en raison de retards, voire d’arrêts complets de chantiers.
Tous les corps de métiers semblent concernés, et plus les entreprises ont de salariés, plus elles sont impactées. Les activités les plus marquées par la pénurie durant le premier semestre 2021 étaient la maçonnerie générale (67 % des entreprises), la couverture-plomberie-chauffage (65 %), la menuiserie-serrurerie (60 %).
De plus, 14 % des entreprises n’arrivent pas à répondre à une augmentation de commandes. Elles signalent des goulots d’étranglement, limitant le développement de leur activité.
La situation est telle que bon nombre de professionnels sont obligés de changer de distributeurs ou de chercher des matériaux de substitution.
On constatait déjà une hausse des coûts durant les 6 premiers mois de 2021, en particulier dans les secteurs de la menuiserie-serrurerie (86 % des sondés), de la couverture-plomberie-chauffage (81 %), de l’aménagement-décoration-plâtrerie (80 %) et de la maçonnerie (73 %). Les produits qui y étaient le plus sujets étant le bois, le PVC, le cuivre, le zinc, le béton, l’acier, ou encore la quincaillerie.
Or, l’augmentation des prix des matériaux ne peut pas être répercutée sur les devis non révisables, déjà établis avec les clients. Les marges habituellement réalisées par les entreprises s’en trouvent ainsi affaiblies. Seulement 26 % des professionnels déclaraient, en juillet 2021, avoir systématiquement augmenté le prix de leurs prestations. 39 % d’entre eux n’ont jamais pu le faire.
Les contraintes financières ont, qui plus est, engendré une baisse de productivité chez 17 % des entreprises du bâtiment sondées, selon les dernières analyses du mois de mars. C’est deux fois plus qu’en 2021, à la même période.
Enfin, la baisse de la rentabilité, couplée à l’éternisation du conflit en Ukraine fait également craindre, à long terme, des pertes d’emploi pour les professionnels du secteur.
Ainsi, les professionnels du bâtiment vont devoir amortir les coûts des matériaux en établissant des devis plus élevés sur leurs prochaines prestations. Une solution peu satisfaisante, car susceptible de réduire leur compétitivité et le nombre de leurs commandes.
L’ensemble de ces facteurs fait que les entreprises du BTP ont peu de visibilité sur leur avenir. Se pose désormais, face aux risques de faillites et à la faiblesse de l’offre de matériaux par rapport à la demande, la question d’un soutien financier de la part des autorités.
En outre, la nouvelle réglementation environnementale RE2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, prévoit une diminution de l’impact carbone des bâtiments neufs. Celle-ci passe par le contrôle des émissions de gaz à effet de serre, durant tout le cycle de vie d’un édifice – choix des éléments de construction compris. Un objectif de 30 % de réduction est prévu dans les secteurs industriels, à l’horizon 2030.
La demande en bois et autres matériaux biosourcés, c’est-à-dire en matière organique renouvelable, devrait donc fortement augmenter dans les années à venir. Une problématique supplémentaire qu’il conviendra de résoudre, si la crise perdure. Est actuellement étudiée la piste de l’exploitation du bois local, et donc des circuits courts, pour limiter les transports et les dépenses énergétiques.
Le modèle de l’économie circulaire apparaît également comme un atout contre la crise des matériaux. Si le recyclage nécessite des dépenses énergétiques non négligeables, le réemploi, lui, est particulièrement adapté à une situation d’augmentation des coûts des énergies.
C’est aussi une solution efficace aux problèmes d’approvisionnement, et généralement plus économique que l’achat d’éléments de construction neufs.
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Entretenue à tour de rôle par la crise sanitaire, la reprise de la consommation, puis la guerre en Ukraine, la pénurie de matériaux du BTP impacte donc fortement le secteur depuis 2020. Près d’un tiers des entreprises font encore état de difficultés d’approvisionnements, à travers tous les corps de métiers. Une situation retardant un grand nombre de chantiers et un manque à gagner conséquent pour les artisans. Comme constaté avec les embargos sur les énergies russes, il apparaît que la France et l’Europe doivent tendre vers une plus grande autonomie. La relocalisation de la production et les circuits courts, notamment dans la filière bois, pourraient s’avérer bénéfiques. Autant sur le plan environnemental qu’économique.
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